L’Inde émoustille chacun de mes sens. Je crois ne pas mentir si je dis avoir passé un an les poils hérissés sur les bras. Chaque seconde apporte son lot de sensations, chaque petite action du quotidien prend une saveur particulière.
Je frémis encore à l’odeur d’un sac poubelle en plein soleil, d’un encens de mauvaise qualité brûlé Passage Brady, au roulement d’une langue autrefois familière…
L’ouïe, le toucher, la vue, le goût, l’odorat. Aucun n’est épargné. J’ai longtemps gardé mon expérience indienne blottie au fonds de ma mémoire, comme une amoureuse transie, qui garde jalousement l’être aimé pour elle.
Parce que plus qu’une histoire de sens, c’est une histoire de cœur. Un cœur ouvert à coups de forceps. Réanimé à coups de questions aussi anodines que quotidiennes, posées par un inconnu au fond d’un bus surchargé ou sur le coin d’un lit d’hôpital.
« Et pour toi, c’est quoi le sens de la vie ?
« Dis, c’est quoi l’amour ? »
Peu à peu, le cœur, qui est un muscle, tout desséché qu’il était, se gonfle, et non sans douleur.
Rencontrer l’autre, il est vrai, est risqué, parce que cela demande de mobiliser sa propre identité, mais aussi former une autre identité, plus grande et plus ouverte.
Un jour, on se réveille, surprise du chemin qui a été parcouru. Un jour, on se surprend à écrire, sans raison, au sujet d’un amour qui n’est tourné vers aucun objet… Aimer, juste comme ça.
7 octobre 2008 – « J’AIME ! Je suis morte de rire en écrivant cela. J’aime, j’aime, j’aime. »
Ou, tordue de douleur par une épine qui vous transperce le pied, au lieu de pester contre cette saloperie, on se retrouve transportée…
10 février 2009 – « J’ai mal au pied. Je me suis dis, je vais mourir tellement j’ai mal et j’écrirai un livre qui s’appellera « J’ai 20 ans et je porte des tongs ». J’aime! J’aime ici! Je suis amoureuse… J’ai un orgasme existentiel. »
On pourrait se dire qu’aimer dans la pauvreté, la saleté ou la misère est difficile. Mais en fait, c’est tout le contraire. L’amour ne vous laisse jamais tranquille, il vient vous pêcher dans le moindre regard, le moindre sourire, les moindres paroles échangées.
5 janvier 2009 – « Ici, la pauvreté s’incarne au travers d’un sourire, la misère se voit dans des yeux qui pétillent d’amour. »
Avec un entrainement intensif, le cœur s’agrandit, il bat plus fort, comme n’importe quel muscle. Il demande plus de nourriture aussi, comme n’importe quel muscle. Et, peu avant mon retour, j’ai réalisé une chose…
4 juillet 2009 – « J’ai un cœur d’amoureuse, c’est marrant, c’est dur. »
Inde – 2009 – Un an avec l’association Howrah South Point – Extraits de carnets de voyage