Tonio est américain, d’origine italienne. Il porte des vieilles baskets et a une tête rigolote, avec ses cheveux blancs tout ébouriffés. Je l’ai rencontré alors que j’étais assise sur un banc en train de gribouiller dans mon carnet. Il me demande s’il y a un café dans le coin. Je n’en ai aucune idée… Il me regarde très intrigué et décide de s’asseoir. « Tu es Russe ? » J’explose de rire, il est désappointé.
Tonio est un moulin à parole. Un mixeur à parole. Il fait 40° à l’ombre, je n’ai personne ni rien qui m’attend. Nous décidons que nous serions bien mieux assis à la terrasse d’un café. En y réfléchissant bien, j’en connait un café dans le coin. Pour s’y rendre il faut prendre un ascenseur et les gens autour de nous préfèrent attendre le prochain… C’est vrai qu’il ne sent pas très bon Tonio, il parle fort mais c’est pour dire aux gens « regardez comme c’est beau, on va tout en haut ».
Il se marre à chaque fois que j’ouvre la bouche, il est émerveillé par la vue sur le lac. Cela fait treize ans qu’il habite à Madison, il n’avait jamais vu le lac comme ça. Arrivé sur la terrasse, il commande un café et fourre tous les petits sucres qu’il peut dans ses poches.
Tonio a 65 ans, il est arrivé à New York, comme beaucoup d’autres, par bateau, à l’âge de 5 ans. Il me parle d’un frère avec enthousiasme, qui habite en Floride et qu’il va aller voir bientôt : Julio. J’apprendrais plus tard que Julio est mort il y a plus de 10 ans. Je me demande comment il est arrivé ici, comment, aujourd’hui, il se retrouve sur le trottoir. Il se demande ce que je fais dans la vie et me donne des conseils en me disant que je dois faire ce qui me rend heureuse. Il trouve que j’ai l’air heureuse, là avec mon appareil photo sous le bras, mon petit carnet à la main et mon sourire benêt, à me balader dans la ville. « Et bah voilà, tu devrais faire ça » Ce n’est pas plus simple que ça.
Tonio est arrivé à Madison pour travailler dans l’immobilier, chose dans laquelle il a très bien réussi, jusqu’à ce qu’il découvre les casinos. Il a tout perdu : ses relations, son travail, son argent, sa famille. Un éclair traverse son regard : « tu connais le casino de Jope ? ». Non, pas vraiment… Il interpelle la serveuse : « Vous ! Vous connaissez le casino de Jope ? ». Malaise… Déçu, il reporte son attention sur sa tasse à café.
Il me regarde changer la pellicule de mon appareil photo, et s’exclame : « prends-moi en photo ! Tu pourras monter qui est Tonio à tous tes amis ! ». En le quittant, il me souffle à l’oreille : « Life is a struggle, you need to be happy. »