Ed est assis sur un banc fraîchement repeint, à deux pas du Capitole. Son regard un peu fou fait un mouvement de va et vient incessant entre ses chaussures et son sandwich.

Mon gros appareil photo en bandoulière, je me balade dans la chaleur de la ville de Madison, le nez au vent. Quand mon regard se pose sur Ed, que j’aperçois au loin, je me dis qu’il faut que j’aille lui parler. Que j’immortalise son regard sur du papier photo.

Commence alors le ballet du photographe. A l’image de son regard, ma marche devient folle. Je passe une fois devant lui, change de trottoir, repasse devant lui, fait demi-tour, tends l’oreille pour finalement me planter devant lui. Le sourire ultra bright – que je décoche dans un peu timide « hello! » – le sort de sa torpeur.

Et puis je m’assois. Son regard passe de ses chaussures à son sandwich. De son sandwich à ses chaussures et vient se planter sur moi : « What do you want? ».

Bah je sais pas moi, parler quoi. En général l’argument ne fait pas mouche. A l’époque je ne fume pas mais j’ai toujours un paquet de cigarettes dans mon sac.

Do you want a cigarette?

Son regard s’illumine, il accepte dans un rictus et reçoit avec un étonnement fabuleux le flot de mes questions. Il me partage que cela fait trois ans qu’il est à la rue, parce que sa mère a du être placée en maison de retraite. L’histoire ne raconte si il a perdu un toit, ou ses économies en en offrant un.

Ed, il est fasciné que je m’intéresse à lui. Je dois être plus agréable à regarder que son sandwich parce qu’il me fixe sans relâche depuis que je me suis assise. Il me transperce littéralement du regard.

Alors voilà, ça c’est Ed. Il était ravi que mes copains voient sa photo un jour. Fasciné que je puisse « le partager ». En me transperçant de ses yeux malicieux, je suis sure que c’est vous qu’il essayait de voir.

Ed – « En Germanique, la richesse »