« Oooh, des ânes-kangourous ! » Le chemin qui mène au Parc National Patagonia n’est pas aisé… Après 8 heures de bus depuis Coyhaique, en Patagonie, qui se trouve à 3 heures d’avion de Santiago, nous nous retrouvons entassés à 8 dans un pick up du parc, direction l’estancia. Sur le chemin, des dizaines de guanacos s’enfuient à l’approche de notre véhicule, qui file à toute allure, laissant derrière lui un nuage de poussière. Disons que, la fatigue aidant, ma comparaison n’était pas la plus exacte et que ces étranges bêtes ressemblent plutôt à des lamas, avec un peu moins de poils et de meilleures manières.
La valle Chacabuco était encore il y a une dizaine d’année une immense pâture, sur laquelle gambadaient près de 80 000 moutons. Kris et Doug Tompkins, deux américains aux poches profondes et avec un amour inégalé pour la protection des espaces sauvages, ont racheté cette terre de 700 km2, avec pour idée d’en faire un parc national. La vallée, coincée entre le parc national Jenimini, composé essentiellement de glaciers, et la réserve Tamango, accueillant de nombreuses espèces animales dont certaines en voie de disparition (pumas, huemuls, guanacos, condors, nandus, tatous…) était jusqu’alors le chainon manquant d’un gigantesque projet. En rachetant la vallée et en la déclarant zone protégée, les Tompkins souhaitent créer un immense parc national restaurant ainsi les zones de transhumance des animaux et permettant l’épanouissement d’un écosystème complet dans la région d’Aysen.
Le parc accueille une cinquantaine de volontaires par an, qui aident à la construction du parc, dont l’ouverture est prévue en décembre 2014. J’en fait partie et c’est avec un plaisir non dissimulé que je me prépare à vivre un mois dans l’un des endroits les plus sauvages et préservé d’Amérique Latine. Dans mes bagages, un sac de couchage zéro degré qui s’avérera être à la limite du confortable, une tente, un tapis de sol, un appareil photo, une dizaine de pellicules, quelques habits dont une doudoune et un maillot de bain, trop de livres, une toute petite trousse de toilette dont une brosse à dent soigneusement coupée en deux… Bien que ce soit l’été, et mes oreilles brulées par le soleil me le rappellent, les températures descendront fréquemment en dessous de zéro durant la nuit. Le vent est par ailleurs une constante ; il est si fort que mes pieds ont parfois eu du mal à rester sur les chemins, emportés par des bourrasques ininterrompues. La Patagonie a pour réputation d’être une terre rude et exigeante. Mon appareil photo, fort de ses 2 kilos, en aura fait les frais et je reviens avec une série de photos étranges, fruit de l’inconfortable voyage que je lui aurais fait subir.
Nous sommes onze à nous préparer pour une semaine de bivouac dans un endroit très reculé du parc, ou se trouvent les derniers kilomètres de barrières qui recouvraient alors la vallée. En enlevant ces barrières, les animaux peuvent de nouveaux circuler librement entre les différentes zones du parc et accéder aux points d’eau, souvent inaccessibles. Six américains (les gringos), deux chiliens, deux argentins, une française (la media gringa). Sean, Bridget, Leo, Francesca, Hannah, Marc, Rapha, Javi, Macarena, Nicolas et Adé. Nous atteindrons notre campement de nuit, guidés par des gauchos peu sur d’eux, qui nous attendrons autour d’un feu, sur lequel grillent des saucisses, avachis sur des peaux de moutons en sirotant du maté brulant. Depuis notre campement, nous marcherons chaque jour plus loin pour trouver, déterrer, couper et enrouler des kilomètres de fils de fer, que nous ramènerons chaque soir, sur une pile de plus en plus imposante. La Laguna Guagua, à quelques mètres de nos tentes, nous offrira ses eaux glacées en guise de douche et un rafraichissement bienvenu après de longues journées de travail.
Avant de nous engager pour une deuxième semaine de travail dans une autre partie du parc, située à la frontière argentine, nous passons quelques jours à l’estancia, où le mouton nous est servi chaud midi et soir.
Nous arrivons au Puesto Nandu en milieu de journée, où Don Manuel, Ranger du parc, vit seul depuis quatre mois. Il surveille la population de Nandu, une espèce de petite autruche, en voie de disparition et qui a élu domicile dans le parc depuis peu. Nous en compterons quinze après une journée passée à les recenser. Il y a trop de vent pour que nous puissions possiblement planter nos tentes et nous envahiront en conséquence le Puesto, où Manuel nous accueillera chaleureusement après un si long moment de solitude. Une grosse cuisinière à bois nous permettra de cuisiner du pain, des chapatis, des gâteaux et même des lasagnes… Le gros de notre travail consistera à « nettoyer » l’ancien site d’un Puesto, le Puesto Negro situé à 45 minutes de marche du Puesto Nandu. Nous collecterons des kilos de déchets et enlèverons des poteaux par dizaines, qui entouraient l’ancienne propriété.
Un asado à l’estancia, deux moutons entier, léchés par le feu de bois pendant des heures, nous régalera, avant que chacun d’entre nous ne se prépare à refaire ses sacs, certains pour le Péru ou la Bolivie, d’autres pour les Etats-Unis ou l’Alaska… De mon côté j’ai fait mes sacs pour le Kenya, d’où je vous écris, prête à partir pour un weekend de randonnée dans la forêt de Kakamega. A suivre !
I am pessimistic about the human race because it is too ingenious for its own good. Our approach to nature is to beat it into submission. We would stand a better chance of survival if we accommodated ourselves to this planet and view it appreciatively instead of skeptically and dictatorially.
– E.B White