« People are dying you know… »
Je m’étouffe dans mon sourire. Dickson est le garde de notre résidence « ultra-sécurisée », mais c’est avant tout un ami. Quand tous les matins je mets ma main dans sa grande paluche et plonge mon regard dans son sourire, je sais que la journée sera belle.
Aujourd’hui Dickson a le regard grave et ne bouge pas de son tabouret pour m’ouvrir la grande grille qui nous sépare du tumulte de la ville. Il regarde tristement ses grosses godasses défoncées et hésite… Il lève finalement les yeux, dont la lueur s’est ternie et me jette une phrase que je n’oublierai pas, la voie remplie d’émotion : « Sister, people are dying you know ».
Dickson vit à une heure de Bungoma, dans une case en terre, avec ses trois enfants et sa femme. Il travaille jour et nuit pour permettre à chacun de ses enfants d’aller à l’école. Quand il ne travaille pas, il aide sa femme à cultiver le lopin de terre d’où sortira leur dîner. Les expats font un travail prenant et exigeant. Ils font aussi la fête, cuisinent, font la grasse mat, partent en weekend et brunchent en terrasse. Le contraste est énorme.
Ce matin, la femme de ménage de nos voisins a sorti les poubelles. Des poubelles, vraiment? Un pain de mie à peine moisi, des légumes un peu flétris… « Sister, people are dying you know ».
Vous vous rappelez de vos parents vous bourrant la bouche d’épinards parce que « fini ton assiette, il y a des petits africains qui meurent de faim »? Et bien Dickson venait de me mettre le nez dans nos poubelles en me disant « fini ton assiette, mon fils meurt de faim au bout de la rue ».
Je n’avais pas d’excuse, nous achetons, sur-consommons, gaspillons, jetons. J’ai eu honte. J’ai demandé pardon. Et suis partie d’un pas traînant faire mes courses, sac à la main et pièces de monnaies tintant au fond de ma poche…
Kenya – 2014