17 septembre 2008 – « Après six jours passés à Calcutta, je monte dans le Darjeeling Mail qui m’emmène à Jalpaiguri. Douze heures de voyage dans la chaleur douceâtre de la sleeping class. Je pars enfin pour le lieu de ma mission, Maria Basti. Une grande maison bleuâtre au milieu des plantations de thé dans un coin perdu du West Bengal. Une communauté de 17 jeunes filles handicapées mentales et physiques. Je suis prête. »

Prête ? Je ris aujourd’hui. On n’est jamais vraiment prête à se lancer dans l’inconnu. Je n’étais pas prête du tout, mais j’avais fait le premier pas. Et c’est ça qui compte. Faire le premier pas, et puis un deuxième, et recommencer. Lâcher prise. En un an j’ai réappris à parler (le bengali), à manger (avec les doigts), à comprendre (avec les yeux), à dormir (sur une paillasse), à m’habiller (en sari), à abandonner (mes préjugés)… J’étais venue en pensant aider, enseigner, assister,  et avec une énergie débordante. J’étais venue pour « faire », pour « donner ». Raté. Les trois premiers mois, j’ai été invitée à ne rien faire.

– Comment ça rien ?
– C’est simple, tu regardes et tu apprends.

J’étais là pour « être » et non pour « faire », pour « recevoir » et non pour « donner ». Etre avec, être disponible, être à l’écoute, être totalement et complètement présente aux autres. Aimer. Et bah c’est super dur.

 

26 septembre 2008 – « Ils n’attendent de moi qu’une présence attentive. Etre là le matin quand les filles se brossent les dents, passer du temps avec elles, apprendre à les connaître et à connaître leur handicap. J’ai fondu en larme. Je suis incapable de leur donner mon temps,  de ne rien faire, sans penser au mien qui passe. »

Et petit à petit on lâche prise. On se rend compte qu’on a beaucoup à apprendre après s’être brûlé la langue et les doigts en les trempant dans son dahl, après que son linge sente le moisi parce qu’on l’a lavé n’importe comment, après s’être retrouvée complètement dépourvue devant l’absence de papier toilette, après avoir laissé une chèvre s’échapper parce qu’on l’a mal attaché, après avoir essayé de dire dix fois « comment ça va aujourd’hui ? » en bengali et faire face à un regard de plus en plus interloqué, pour finalement partager un énorme fou-rire. Un de ceux qui font pleurer, puis sourire. Niaisement.

 

On apprend à s’asseoir en silence avec l’autre. On apprend à accepter, que oui, on a besoin d’aide. On apprend à découvrir et à respecter les différences de chacun. On apprend à ralentir. Et les larmes s’arrêtent pour faire place à la joie. La joie simple « d’être avec ».

Inde – 2009 – Un an avec l’association Howrah South Point – Extraits de carnets de voyage