« Ca sent le chou »,
Je dépasse des champs vides, charniers dont on a arraché les fruits, poussée par le vent qui emporte mon vélo sur les petits chemins de Bretagne.
« Ca sent le chou »,
Un tracteur avance au ralenti guidé par un conducteur fantôme. Ici, ça récolte encore. J’abandonne mon vélo dans un fossé, grimpe un haut talus aidée d’une palette laissée là.
« Ca sent le chou »,
Le tracteur remorque un petit container, dont sort un tapis, qui flotte, langoureux, au dessus des rangées de choux. Un homme, hautes bottes, bleu de travail et machette au poing, sabre les choux les uns après les autres.
« Tchac, tchac, tchac »,
Trois coups donnés et, balancé sur le tapis, le chou disparait. J’observe ce ballet des choux, de l’homme et de la machette. Un chou gît à mes pieds, abandonné. Je le ramasse et lance à l’homme : « Vous avez oublié un chou ! ».
« Tchac, tchac, tchac »,
Trois coups, et au fermier et me lancer, « l’est pas bon ». Et il continue son ballet sans me regarder. Pas bon ? Il est très bien ce chou de bretagne, impeccablement coupé au pied, emmitouflé dans de belles feuilles vertes et tout. Je le regarde incrédule.
« Tchac, tchac, tchac »,
Trois coups, pour me dire dans un haussement d’épaules, « l’est trop jaune, l’est invendable c’chou là ». Je regarde autour de moi. Mon pauvre chou n’est pas la seule victime. Un dixième, un quinzième de la production, peut-être même plus. Devant ma mine confondue, le fermier me regarde l’air coupable, et en pointant le tapis roulant du menton, « ça c’est pour le surgelé ».
« Poum, poum, poum »,
Les petits choux tout blancs s’en vont roulants doucement vers la remorque. « Surgelé, et pourquoi surgelé ? ». Une vague de lassitude passe dans le regard de l’homme, qui n’interrompt pas son ballet monotone. « Trop de chou. Il fait trop doux, surproduction. »
« Poum, poum, poum »,
Les petits choux tout blancs s’en vont roulants doucement vers la remorque. Je regarde la danse des choux blancs, les choux jaunes qui valsent dans les airs et l’homme qui machette, « tchac, tchac tchac ». Je regarde mon pti’ choux jaune dans la boue. « Je peux vous le prendre ce chou là ? ».
« Poum, poum, poum »,
Les petits choux tout blancs s’en vont roulants doucement vers la remorque. « Non. » Pas sympa, ce breton. « Tchac, tchac, tchac », il me tent un choux tout blanc, fraîchement coupé, emmitouflé dans ses feuilles vertes et couvert de rosée.
Je repars mon chou sous le bras, dans la musique du ballet de l’homme, des choux de bretagne et de la machette. En route vers mon biclou, je piétine des choux jaunes en pensant, « ça sent le chou ».
Un idéaliste est quelqu’un qui, remarquant qu’une rose sent meilleur qu’un chou, conclut qu’elle fera une meilleure soupe
– Henry Louis Mencken.