Mongola a une quinzaine d’années. Peut-être douze, c’est dur à dire. Elle a contracté la polio tout bébé, et en garde la marque indélébile, les membres inférieurs paralysés. Une nuit, Mongola, les intestins tordus de douleur, a été transférée à l’hôpital voisin de Jalpaiguri.
15 décembre 2008 – « Devi-di m’a proposé d’aller à l’hôpital voir Mongola. J’avais dans l’idée d’y aller, mais quelques minutes, avec des chocolats… Bref, je ne m’attendais pas à ça. L’hôpital a été une épreuve terrible.
Pour rentrer, il faut un pass. Un patient = un pass. Mongola était dans une grande salle avec des lits dans un état piteux. Un lit pour deux au mieux. C’est la salle réservée aux troubles digestifs. Du sang, du vomi, du pipi, des pleurs, des crachats, des cris… Et une saleté… J’ai cru que j’allais partir en courant, j’avais la tête qui tournait. Je suis restée, près de Mongola, qui a la chance d’avoir un lit pour elle, ou elle a pu dormir avec une didi, qui est restée pour la nuit. Impossible pour elle d’aller aux toilettes à cause de son handicap. Les toilettes. Une pièce close de quelques mètres carrés ou tout le monde fait par terre. Un homme qui nettoie, remplis des sacs de merde dégoulinants, masque sur le visage. M’en renverse sur les pieds au passage.
La voisine de lit de Mongola qui pisse le sang parce que sa perf s’est détachée. Toutes ont une perf. Chacun apporte sa nourriture, ses draps. Hôpital gouvernemental, personne ne paye. Le docteur passe, trois fois par jour. Il y a plus de cents femmes dans cette pièce, les unes sur les autres, dans une crasse épouvantable. Le docteur en voit 10. Baisse une paupière, palpe un ventre… Dix secondes par patiente. Je suis verte. Tout le monde se tait et essaye de faire propre, c’est le grand docteur. Il regarde Mongola. Je m’énerve. Il décide qu’elle sera transférée à Siliguri. Je ne l’accompagnerai pas, je n’ai pas le courage.
Je suis restée 2h30 dans l’hôpital. Je me suis occupée des papiers du transfert, de la sortie, d’appeler une voiture… Au moment de partir, un homme, en pleurs, au milieu du tumulte, tenant a bout de bras un petit être de 3 ou 4 jours. Des hommes qui courent avec des seaux remplis d’une nourriture nauséabonde. Des ambulances. De simples vans avec une croix rouge grossièrement peinte sur les portes…
Je me sens horriblement sale. Je me suis douchée, j’ai lavé, désinfecté tout mon linge. Je suis propre dans des draps propres, mon linge sèche à l’autre bout de ma chambre. Je me sens sale. Et mal. Et merde. Mongola, petite soeur, fais vite. »
Malheureusement, ce séjour a l’hôpital ne fut que le premier d’une longue série. Entre 3 et 4 millions d’indiens vivent avec les séquelles de la polio. Le 13 janvier 2014, l’OMS annonçait l’éradication de la polio en Inde.
Inde – 2009 – Un an avec l’association Howrah South Point – Extraits de carnets de voyage